Rapport 2023 de la Commission européenne sur l'État de droit

En amont de la publication en juillet du rapport annuel de la Commission européenne sur l'État de droit, 34 organisations de la société civile européenne - dont la FIACAT - s'associent pour encourager la Commission à poursuivre les améliorations du rapport précédent tout en l'alertant sur un certain nombre de points.

En juillet 2023, la Commission européenne publiera son rapport annuel sur l'État de droit. Les principaux défis à l'État de droit au sein de l'Union au cours de l'année écoulée sont à la fois anciens et nouveaux. Si des questions telles que la non-application des décisions de justice, le rétrécissement de l'espace civique dans l'UE et la restriction de la liberté d'expression dans l'ensemble de l'UE figuraient dans les précédentes déclarations conjointes de la société civile, la nouvelle couverture dans les chapitres par pays et l'évolution rapide du paysage géopolitique ont généré de nouvelles préoccupations horizontales.

La conformité et le respect de l'État de droit dans l'UE sont cruciaux pour la crédibilité de l'Union, tant au niveau national qu'international. Si nous nous félicitons de la nouvelle approche du rapport 2022, qui comprend 27 chapitres par pays ainsi que de nouveaux sujets tels que le rôle des médias de service public et la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, nous tenons à souligner les préoccupations suivantes qui doivent être traitées de toute urgence lors de la préparation du rapport 2023 sur l'État de droit.

 

Nos principales recommandations à la Commission sont les suivantes :

1. Adopter une approche plus globale de l'État de droit, de la démocratie et des droits de l'homme ;

2. Améliorer la visibilité et la sensibilisation du rapport sur l'état de droit ;

3. Accroître la spécificité et l'évaluation qualitative des recommandations ;

4. Agir systématiquement contre la non-application des décisions de justice ;

5. Protéger la liberté d'expression et la liberté des médias en tant que pilier de la démocratie et de l'État de droit ;

6. Renforcer l'inclusion de la société civile dans les rapports sur l'état de droit ;

7. Répondre aux préoccupations persistantes concernant l'espace civique ;

8. Inclure les impacts de la guerre en Ukraine sur l'état de droit dans l'UE.


1. Adopter une approche plus globale de l'État de droit, de la démocratie et des droits de l'homme

L'État de droit est si profondément lié aux autres valeurs de l'article 2 du traité sur l'Union européenne (TUE), notamment la démocratie et les droits fondamentaux, qu'il ne peut être pleinement respecté que si ces valeurs le sont également. Cette réalité n'est pas suffisamment prise en compte dans les rapports précédents, qui considèrent souvent l'État de droit comme distinct des autres valeurs protégées par les traités, dont la protection ne relève pas du champ d'application de l'examen.

La Commission devrait élargir le champ d'application de l'examen afin de mieux saisir l'interdépendance entre la démocratie, l'État de droit et les droits fondamentaux, de détecter toute tentative systématique de les affaiblir et de garantir une approche globale de toutes les valeurs visées à l'article 2 du traité UE.


2. Améliorer la visibilité et la notoriété du rapport sur l'État de droit

Une fois de plus, le rapport sur l'État de droit est publié en été, période à laquelle les publications reçoivent généralement peu d'attention en raison de la fermeture des bureaux. Le fait de déplacer la publication annuelle du rapport sur l'état de droit en septembre augmentera sa visibilité et attirera davantage l'attention.

Bien qu'il ait été noté positivement que la consultation publique des parties prenantes a été ouverte plus longtemps que les années précédentes en raison de la date de début plus précoce, le délai pour fournir des contributions reste court pour les acteurs civils.

Il est recommandé à la Commission de communiquer de manière proactive et claire les détails de toutes les consultations et visites de pays pertinentes sur son site web en temps utile et d'adapter les dates de publication pour assurer une plus grande sensibilisation. Le processus de rapport ne peut être ouvert, transparent et participatif que si les citoyens européens sont informés du processus et si suffisamment de temps et de ressources sont alloués pour que la société civile puisse y contribuer.


3. Accroître la spécificité et l'évaluation qualitative des recommandations

Les recommandations par pays sont destinées à prévenir de futures violations de l'État de droit. Malheureusement, la nature des recommandations par pays varie considérablement. Le manque de spécificité concernant la nature des recommandations, notamment leur caractère contraignant ou non, entrave leur mise en œuvre effective.

Si la Commission souhaite que les recommandations alimentent directement les procédures d'exécution telles que la procédure de l'article 7, le mécanisme de conditionnalité ou les procédures d'infraction, elle doit être plus précise quant à la nature des recommandations et s'assurer que celles-ci sont suffisamment claires, concrètes et mesurables pour traiter les problèmes spécifiques identifiés dans le rapport.

Un lien clair doit être établi entre ces mécanismes et le cycle de révision, dont les recommandations doivent être rendues directement exécutoires. En outre, un système d'évaluation qualitative de la mise en œuvre des recommandations devrait être introduit.


4. Agir systématiquement contre la non-application des décisions de justice

Ces dernières années, on a constaté une tendance alarmante à contester l'autorité des décisions de la Cour européenne de justice et de la Cour européenne des droits de l'homme et/ou à ne pas les appliquer. Il s'agit d'un problème systémique d'État de droit qui n'est pas suffisamment pris en compte dans les recommandations du rapport 2022 sur l'État de droit.

La Commission européenne devrait accorder une attention particulière à cette question et être prête à imposer des amendes jusqu'à ce que le droit national des États membres soit pleinement conforme au droit européen. La Commission devrait veiller à ce que la transposition des directives de l'UE soit effectuée rapidement et conformément à l'esprit de la directive et ne conduise pas à une détérioration des dispositions existantes sur la liberté d'expression et le droit du public à l'information, comme on l'a vu dans la transposition de la directive de l'UE sur les dénonciations dans les États membres.

En outre, il convient de renforcer les synergies entre les systèmes de protection de l'État de droit et des droits de l'homme de l'UE et du Conseil de l'Europe afin de garantir que les États membres de l'UE respectent la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

 

5. Protéger la liberté d'expression et la liberté des médias en tant que pilier de la démocratie et de l'État de droit

Ces dernières années, la situation de la liberté et du pluralisme des médias en Europe s'est considérablement détériorée : les journalistes de toute l'Europe sont soumis à de fortes pressions - bien que sous différentes formes - et doivent faire face à une augmentation des interférences, des attaques et du manque de protection. Les poursuites stratégiques contre la participation publique (SLAPP) visant à réduire au silence les informations d'intérêt public sont de plus en plus courantes ; les menaces et les attaques contre les journalistes sont en augmentation ; la surveillance ainsi que le harcèlement et les abus en ligne sont également un phénomène croissant qui vise ceux qui travaillent dans l'intérêt public, que ce soit sur la corruption, les droits de l'homme et d'autres questions relatives à l'État de droit.

Des médias libres, indépendants et pluralistes sont un élément clé pour renforcer la bonne gouvernance et l'État de droit. En s'appuyant sur les travaux relatifs à la directive anti-SLAPP et à la loi européenne sur la liberté des médias, il convient de redoubler d'efforts pour sensibiliser et promouvoir une réponse européenne afin de mieux relever ces défis. Chaque chapitre national du rapport sur l'État de droit qui identifie la prévalence des SLAPP dans un État membre devrait inclure une recommandation spécifique pour lutter contre cette forme particulièrement néfaste de harcèlement et d'intimidation des personnes travaillant à la protection de l'intérêt public.


6. Améliorer l'inclusion de la société civile dans les rapports sur l'état de droit

La Commission a préparé les 27 chapitres nationaux et les recommandations associées sur la base de dialogues avec les autorités nationales et les parties prenantes. Elle omet toutefois d'identifier la société civile comme un acteur essentiel. La société civile devrait être impliquée tout au long du

de l'État de droit. Nous appelons la Commission à renforcer sa coopération avec les organisations de la société civile et des médias dans les États membres, car elles jouent un rôle important dans le respect de l'État de droit sur le terrain.

Pour faciliter ce processus, la Commission doit placer les organisations de la société civile et des médias, ainsi que les autorités locales, au centre de ses visites dans les pays afin de rendre le processus de rapport plus accessible, transparent et inclusif. Le retour d'information de la société civile, tant sur le processus que sur le fond, devrait être sollicité dans le cadre de l'évaluation du cycle.


7. Répondre aux préoccupations persistantes concernant l'espace civique

Le rétrécissement de l'espace de la société civile est un problème qui touche à la fois l'UE et de nombreux États membres depuis quelques années maintenant. Les principales préoccupations concernant l'introduction de réglementations restrictives, l'accès limité aux processus décisionnels et les campagnes de dénigrement contre les OSC demeurent. Dans certains pays, les forces politiques sont souvent responsables d'une délégitimation injustifiée et d'une criminalisation du travail des OSC, notamment des ONG humanitaires travaillant dans le domaine de la solidarité et de la migration.

La Commission devrait continuer à renforcer son soutien au secteur civil, tant au niveau des États membres qu'au niveau européen, à concevoir des mécanismes de protection pour les acteurs de la société civile, à promouvoir l'éducation civique au niveau national, à veiller à ce que l'impact de l'espace civique soit pris en compte de manière adéquate dans la législation européenne, et à accroître ses efforts pour promouvoir un contre-récit valable sur le rôle de la société civile, en soulignant la valeur ajoutée des acteurs civiques en tant que gardiens essentiels des valeurs démocratiques.


8. Inclure les impacts de la guerre en Ukraine sur l'état de droit dans l'UE

L'invasion militaire à grande échelle de l'Ukraine par la Russie a contraint des millions d'Ukrainiens à quitter leur pays et à chercher une protection dans l'UE. Si l'UE et les États membres ont rapidement fourni une protection aux Ukrainiens fuyant la violence, la situation continue de poser de nouveaux défis en termes d'égalité d'accès des réfugiés aux services publics et au système judiciaire. Le rapport 2023 devrait inclure des évaluations approfondies des violations persistantes des droits fondamentaux de tous les demandeurs d'asile et réfugiés.

Un autre domaine de l'État de droit lié à la guerre en Ukraine qui mérite l'attention de la Commission concerne les diverses mesures introduites par l'UE et ses États membres à l'encontre des personnes et des entreprises russes ou liées à la Russie, telles que les sanctions et les saisies de biens. Il est essentiel de maintenir une procédure régulière et de respecter les droits des personnes concernées afin de respecter l'engagement de l'UE à respecter l'État de droit envers tous.

 

Signataires :

1. Access Now
2. ALDA - European Association for Local Democracy
3. Amnesty International European Institutions Office
4. ARTICLE 19: Global Campaign for Free Expression
5. Citizens Network Watchdog Poland
6. Civil Liberties Union for Europe
7. Civil Society Europe (CSE)
8. Committee to Protect Journalists
9. DEMAS – Association for Democracy Assistance and Human Rights
10. Democracy Reporting International (DRI)
11. European Centre for Press and Media Freedom (ECPMF)
12. European Federation of Journalists (EFJ)
13. European Implementation Network (EIN)14. European Network Against Racism (ENAR)
15. European Network of Political Foundations (ENoP)
16. European Partnership for Democracy (EPD)
17. Free Press Unlimited
18. Front Line Defenders
19. ILGA-Europe - European region of the International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex
Association
20. Human Rights House Foundation (HRHF)
21. Human Rights Watch (HRW)
22. IFEX
23. International Federation for Human Rights
24. International Federation of ACAT (FIACAT)
25. International Planned Parenthood Federation IPPF European Network
26. International Press Institute
27. International Rehabilitation Council for Torture Victims (IRCT)
28. Media Diversity Institute (MDI)
29. Netherlands Helsinki Committee (NHC)
30. OMCT - World Organisation Against Torture
31. Osservatorio Balcani Caucaso Transeuropa
32. Ossigeno.info
33. Society of Journalists (Warsaw)
34. South East Europe Media Organisation (SEEMO)