Déclaration de Djerba sur

la campagne pour la décriminalisation de la pauvreté, du statut et de l’activisme

 

Réunies à Djerba en novembre 2022, plus de 50 organisations de tous horizons ont adopté une déclaration commune pour rappeler l'importance la campagne actuellement menée pour obtenir la décriminalisation de la pauvreté, du statut et de l’activisme. La FIACAT, l'ACAT Congo et l'ACAT Tchad faisaient parties des signataires.

Nous, les membres de la campagne pour la décriminalisation de la pauvreté, du statut et de l’activisme,rassemblant des avocats, des juristes, des membres du pouvoir judiciaire, des militants et des experts de plus de 50 organisations, dont des organisations non gouvernementales nationales, régionales et internationales, des organisations philanthropiques, des institutions nationales de défense des droits humains, des organisations d'aide juridique, des instituts de recherche, des universités et des groupes de pression et plaidant pour la révision et l’abrogation des lois qui visent les personnes en raison de leur statut (social, politique ou économique) ou de leur activisme,

Reconnaissant :

i) Que les inégalités et la criminalisation de la pauvreté et de la marginalisation ne cessent d’augmenter dans le monde, en violation flagrante des lois et des normes nationales et internationales relatives aux droits humains ;

ii) Que les États recourent constamment aux appareils sécuritaires, de justice et des prisons contre des personnes en fonction de ce qu’elles sont, c’est-à-dire de leur identité et de leur statut, plutôt que de ce qu’elles font ;

iii) Que la criminalisation de la pauvreté et du statut contribue à l’augmentation du nombre de personnes détenues dans les prisons du monde entier, les exposant à des traitements cruels, inhumains et dégradants tout en les maintenant dans un état de grande précarité économique, physique et psychologique ;

iv) Qu’en raison de leur grande précarité sociale et économique, le droit à une défense légale pleine et entière, incluant le recours à un avocat, n’est pas garanti à certaines catégories de la population ;

v) Que les lois pénales et les politiques et pratiques d’application de la loi continuent de reposer largement sur des considérations héritées du colonialisme, visant à consolider un ordre social colonial ou néocolonial d’exclusion des masses ;

vi) Que des infractions datant de l’époque coloniale, telles que le vagabondage, la flânerie, la mendicité ou le désordre, sont encore utilisées de manière arbitraire et disproportionnée contre des catégories sociales marginalisées et discriminées (1) ;

vii) Qu’on assiste à une augmentation de l'utilisation pernicieuse des lois pénales et des politiques et pratiques d’application de la loi pour réprimer l'activisme, limiter la liberté d’expression, contrôler le travail de défenseurs des droits humains et étouffer l’insurrection ou la dissidence populaire ;

viii) Que l’application de ce pouvoir arbitraire a un coût profond en termes de droits humains, se manifestant par la discrimination, le recours à la force létale, la torture,
l'emprisonnement arbitraire et excessif, des condamnations disproportionnées et des conditions de détention inhumaines.

Convaincus qu’il existe un besoin clair et urgent de mettre fin à la décriminalisation des personnes sur la base de la pauvreté, du statut et de l’activisme en adoptant des réformes fondées sur les droits humains.

Rappelant et nous appuyant sur les Principes relatifs à la dépénalisation des infractions mineures en Afrique adoptés par la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples en novembre 2017, ainsi que sur l’avis consultatif de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples déclarant les « lois sur le vagabondage » incompatibles avec la Charte africaine des droits de l'homme et des
peuples,

 

Nous invitons :

1. La commission des affaires parlementaires, la commission coopération et développement et la commission politique de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie (APF) à se saisir de
la campagne, y compris en créant une commission spéciale ou un groupe de travail mixte, et à proposer, en plénière, des motions, résolutions, avis ou recommandations en faveur de la
décriminalisation de la pauvreté, du statut et de l’activisme.

2. Aux députés de l’APF à adopter une résolution en faveur de la décriminalisation de la pauvreté, du statut et de l’activisme, y compris une résolution destinée à la Conférence Ministérielle de la Francophonie (CMF) et au Conseil Permanent de la Francophonie (CPF), ainsi que des recommandations destinées aux Chefs d’État et de Gouvernement des pays membres de l’OIF.

3. Les membres de l’OIF à reconnaître la féminisation de la pauvreté et à s’attaquer aux lois, politiques et procédures qui visent les femmes perçues comme violant des normes patriarcales bien ancrées ;

4. Les membres de l’OIF à intégrer une approche intersectionnelle et holistique à tous les efforts de réforme visant à lutter contre la criminalisation de la pauvreté et du statut, qui prenne en compte les formes multiples et cumulées de discrimination ;

5. Les États membres de l’Union africaine à prendre en compte les avis consultatifs émanant de la CADHP sur les lois jugées par cette dernière comme incompatibles avec la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et à mettre en œuvre les Principes relatifs à la dépénalisation des infractions mineures en Afrique ;

6. L’OIF à organiser le prochain Sommet autour de la décriminalisation de la pauvreté, du statut et de l’activisme.

7. L’OIF à créer une commission interministérielle rassemblant les ministères de la justice et de l’intérieur des États membres de la Francophonie en vue d’adopter des réformes du secteur de la sécurité et du système judiciaire fondées sur les droits humains

Organisations signataires (liste non exhaustive, en cours de signature) :

- La ligue Tunisienne pour la défense des droits de l'homme (LTDH)
- Association BEITY
- Organisation Contre la Torture en Tunisie (OCTT)
- Coalition Tunisienne Contre la Peine de Mort (CTPCM)
- Association Tunisienne pour la justice et l'égalité Damj
- Association tunisienne de défense des droits de l'enfant (ATDDE)
- Comité de vigilance pour la démocratie en Tunisie-Belgique (CVD)
- Association intersection pour les droits et les libertés
- Avocats Sans Frontières (ASF)
- Fédération Internationale des ACAT (FIACAT)
- Relais Prison/Société (Maroc)
- Association ADALA (Maroc)
- Les Mêmes Droits pour Tous (Guinée)
- Coalition d'Afrique Francophone Contre la Peine de mort
- Culture Pour la Paix et la Justice - CPJ- RD Congo
- Réseau des Associations de Défense des Droits de l'Homme et des Militants Abolitionnistes de
la Peine de Mort - RADHOM - RDC
- Réseau des Avocats Camerounais Contre la Peine de Mort - Cameroun
- Coalition Nigérienne Contre la Peine de Mort - CONICOPEM - Niger
- Association Droits et Paix- Cameroun
- ACAT Congo
- ACAT Tchad  

 

(1) En ce compris, mais pas seulement, contre les personnes vivant dans la pauvreté, en situation de rue, appartenant à des groupes raciaux, ethniques et castes marginalisés, les peuples autochtones et les groupes tribaux, les femmes, les enfants, les groupes religieux, les personnes handicapées, les personnes victimes de discrimination en raison de leur état de santé, les consommateurs de stupéfiants, les minorités, les personnes âgées, les membres de la communauté LGBTQIA+, les travailleurs du sexe et les migrants.