Aujourd’hui, à l’occasion de la Journée internationale des victimes de disparition forcée, nous reconnaissons les dizaines de milliers de cas de disparitions qui existent actuellement partout dans le monde. Nous exprimons notre solidarité avec, et notre chagrin profond pour, les familles qui continuent d’attendre, leurs questions restant sans réponse. Néanmoins, nous reconnaissons le progrès qui a déjà été fait grâce à l’inclusion de la question des disparitions dans le cadre international des droits de l’homme. Parallèlement, nous réfléchissons aux défis qui perdurent et à la situation qui empire dans diverses parties du monde.

Au cours des 35 dernières années, les Nations Unies (l’ONU) ont transmis 54 557 cas de disparations à 105 États. Ce chiffre n’est pas représentatif de l’ampleur du problème en raison de sous -déclaration. Cette sous -déclaration est principalement due à une peur des représailles, ainsi qu’à un manque de connaissance des mécanismes disponibles. Les disparitions forcées constituent des violations de multiples droits de l’homme, y compris de la prohibition de la torture et des mauvais traitements, concernant à la fois les victimes et les membres de leur famille. Les disparitions se terminent souvent par la mort de la victime. Les derniers chiffres du Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées indiquent que 43 563 cas sont toujours à l’étude dans un total de 88 pays. Entre mai 2014 et mai 2015, 151 appels urgents ont été envoyés au Bahreïn, Bangladesh, Cuba, la République démocratique du Congo, Egypte, Gambie, Honduras, la République islamique d’Iran, Jordanie, Kenya, Mexico, Oman, Pakistan, la République arabe syrienne, les Emirats arabes unis et le Zimbabwe. Tristement, aujourd’hui encore, des personnes continuent d’être victimes de disparitions forcées partout dans le monde.

Nous nous réjouissons du fait que 26 enfants, maintenant adultes, aient été réunis avec leur famille lors de ces deux dernières années après avoir été enlevés au Timor -Leste par des soldats indonésiens pendant l’occupation indonésienne. Cependant, de manière générale il y a eu une augmentation des cas de disparations forcées dans plusieurs pays asiatiques. Cette année au Bangladesh, 52 personnes ont été victimes de disparition forcée par les forces de l’ordre entre janvier et juillet. Parmi elles, 7 ont été retrouvées mortes, 33 ont été retrouvées arrêtées ou sont réapparues vivantes et la localisation de 12 personnes reste toujours inconnue. Des défenseurs de droits de l’homme allèguent que 8 000 personnes ont disparu au Cachemire aux mains de l’armée indienne. Les exécutions extrajudiciaires de 1080 personnes et les disparitions forcées de 172 personnes ont été rapportées par le Tribunal international pour les droits de l’homme et la justice au Cachemire (International Peoples’ Tribunal on Human Rights and Justice in Kashmir) et l’association des parents des personnes disparues (Association of Parents of Disappeared Persons). Au Pakistan, 75 cas de disparitions ont été documentés depuis janvier cette année, un grand nombre d’entre eux ayant eu lieu au Pendjab, et 66 personnes sont encore portées disparues. Alors que les Philippines sont confrontées à de nombreux cas d’exécutions extrajudiciaires liés à la drogue, les cas qui ont eu lieu pendant la période du droit martial n’ont toujours pas été résolus. En Indonésie, bien que nous soutenions l’établissement d’une Commission vérité et réconciliation dans le Provence d’Aceh, le gouvernement indonésien n’a pas réussi à mettre en œuvre une approche centrée sur la victime pour la résolution des violations des droits de l’homme passées. De façon similaire, le Népal a rencontré des difficultés pour établir des commissions auxquelles les victimes et les organisations internationales puissent faire confiance, et le destin des personnes disparues n’est toujours pas connu. 516 coréens du sud, qui avaient été enlevés par la Corée du nord pendant et après la guerre coréenne, ne sont toujours pas revenus. Les rapports des médias indiquent une augmentation des cas de disparitions forcées en Corée du Nord ces dernières années. La disparition de Sombath Somphone et d’autres cas récents de disparitions forcées au Laos n’ont toujours pas été résolus, malgré l’indignation internationale contre la situation déplorable des droits de l’homme dans le pays.

En Amérique latine, les disparitions et le déni de leur occurrence continuent. En mai 2015, il restait 3 271 cas non résolus en Argentine devant être examinés par le Groupe de travail ; 2 897 au Guatemala ; 2 365 au Pérou ; 2 280 au Salvador ; et des centaines de plus dans d’autres pays dans la région. De façon alarmante, FEDEFAM rapporte 270 000 cas de disparitions de détenus en Amérique latine. Ces disparitions se passent actuellement, de façon généralisée et sélective au Mexique – la gravité de ce phénomène dans le district fédéral n’est pas encore connu. Certains estiment qu’il y a 100 000 détenus disparus. Dans ce même contexte politique, des disparitions forcées ont actuellement lieu en Colombie, dans le cadre de la prétendue lutte contre les drogues. Nous sommes préoccupés par les doutes soulevés par le Président argentin M. Mauricio Macri et l’ancien Ministre de la culture dans la ville de Buenos Aires M. Darío Lopérfido quant au chiffre exact de disparitions forcées ayant eu lieu. Imposer “l’oubli” à l’Argentine promeut l’impunité, et constitue une grave insulte à la mémoire de ceux qui sont disparus. Concernant le Pérou, il convient de souligner les nominations encourageantes d’individus œuvrant en faveur des victimes à des postes importants du Cabinet. La ratification de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et la récente loi relative à la recherche des personnes disparues, représentent des avancées importantes. Néanmoins, la situation politique est compliquée du fait que les fujimoristas et les apristas, ayant des antécédents en matière de violations des droits de l’homme, détiennent la majorité au Parlement. Bien que certains progrès aient été accomplis, beaucoup reste encore à faire dans le cadre de la lutte contre l’impunité qui règne en Amérique latine.

La situation dans la région euro -méditerranéenne est également très préoccupante. En Syrie, 67 651 enlèvements ont été enregistrés durant les quatre dernières années, selon un rapport de l’Observatoire Euro -Méditerranéen pour les droits de l’homme et le Réseau syrien des droits de l’homme publié en août 2015. Parmi ces disparitions, 96% sont liées aux forces de Bashar Al -Assad ; les autres cas, environ 2 400, sont liés à des acteurs non -étatiques, y compris l’État islamique, les forces de l’Administration autonome kurde et le Front al -Nosra. Le Groupe de travail a transmis 48 cas liés à l’Egypte en 2015, comparé à 15 cas en 2014. Il a également transmis des communications dans le cadre de la procédure d’« action urgente » au Bahreïn, l’Egypte, l’Iran, le Jordanie, Oman, la Syrie, et les Emirats arabes unis. En mai 2015, il restait 16 408 cas non résolus en Iraq qui devaient encore être examinés par le Groupe de travail ; 3 104 en Algérie et 313 au Liban, pour en nommer que quelques -uns. Quatre cas de disparitions forcées pour des motifs politiques entre 1999 -2000 demeurent toujours non résolus en Biélorussie.

En Europe, après 16 ans, les autorités biélorussiennes qui sont suspectées d’être impliquées dans les disparitions de quatre politiciens et activistes proéminents continuent à ignorer les demandes d’enquêtes formées par des institutions internationales et des organisations des droits de l’homme, telles que le Conseil des droits de l’homme. Le gouvernement biélorussien n’a pas signé ni ratifié la Convention.

En Afrique, un membre de la Coalition internationale contre les disparitions forcées (ICAED) a dénoncé de nombreuses allégations de disparations forcées au Burundi, parmi de nombreuses autres violations des droits de l’homme, pendant l’examen spécial de l’Etat par le Comité contre la torture. Malheureusement, le Burundi n’a pas répondu aux questions du Comité. Le Zimbabwe porte actuellement atteinte à la sécurité publique. Le police a répondu aux vagues récentes de manifestations paisibles en brutalisant et harcelant les manifestants. Nous sommes fortement préoccupés par le fait que le pays continue de connaitre des disparitions forcées qui sont assimilables à des crimes contre l’humanité. Les familles des victimes de ce crime odieux sont elles -mêmes angoissées, et ne savent pas si ce crime sera commis contre eux.

Les familles des victimes et des défenseurs des droits de l’homme à travers le monde continuent de travailler sans relâche pour sensibiliser le public à ce phénomène, améliorer la manière dont les Etats abordent le problème, et chercher à obtenir justice et réparation pour les victimes et leurs familles. L’ICAED est actuellement composée de 56 organisations membres. Ensemble, elles continuent à faire campagne pour la ratification universelle et la mise en œuvre de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, la reconnaissance de la compétence du Comité des disparitions forcées, et la promulgation de législation domestique incriminant les disparitions forcées. La Convention, adoptée le 20 décembre 2006, a actuellement 96 États signataires et 52 États parties. La ratification par le Sri Lanka en mai cette année, ainsi que la ratification par l’Italie et le Niger et l’accession de l’Ukraine et le Belize l’année dernière sont autant d’avancées encourageantes. Le Comité assiste les États parties dans la mise en œuvre de la Convention, et travaille de plus en plus pour localiser les personnes disparues. À cet égard, nous félicitons le Pérou, le Sri Lanka, et l’Ukraine d’avoir accepté la compétence du Comité au cours de ces 12 derniers mois, respectivement conformément à l’article 31, 32 et à ces deux articles de la Convention. Néanmoins, il convient de souligner que seulement 19 pays ont reconnu la compétence du Comité.

Les défis pour le futur comprennent la promotion continue de la ratification de la Convention, le besoin d’augmenter la reconnaissance de la compétence du Comité et la difficulté de travailler dans un contexte où des acteurs non -étatiques sont de plus en plus souvent les auteurs des enlèvements et des disparitions qui s’en suivent. Il est extrêmement difficile d’évaluer la quantité de personnes impactées par les disparitions forcées. Nous devons rester conscients que de nombreux cas graves ne sont pas connus en raison de leur nature isolée et du danger auquel ceux qui dénoncent ces crimes sont exposés.

L’ICAED appellent urgemment les États à signer et ratifier la Convention ; promulguer une législation interne sur ce sujet et reconnaître la compétence du Comité. Nous saisissons les opportunités que nous offre la Journée internationale des victimes de disparition forcée pour consolider les mécanismes en place visant à la prévention des disparitions forcées; à la protection de ceux qui sont actuellement en danger ; et l’obtention de la justice pour les disparus, leurs famille, communautés et sociétés.